Exploration urbaine

“La Zone est un système très compliqué. Il y a plein de pièges, qui sont tous mortels. J’ignore ce qui s’y passe en l’absence des hommes, mais dès qu’ils apparaissent tout se met en mouvement… Des pièges disparaissent, d’autres les remplacent. Des endroits qui étaient sûrs deviennent infranchissables. La route devient simple et facile… ou bien semée d’embûches. C’est ça la Zone… On pourrait la croire capricieuse, mais à chaque instant… elle est telle que nous l’avons faite… par notre propre état d’esprit… Il y a même eu des cas où… les gens rebroussaient chemin à mi-parcourt… D’autres mourraient au seuil même de la chambre. Tout ce qui se passe ici dépend non de la Zone, mais de nous.”(1)

URBEX : perte et fracas

“L’exploration urbaine (ou urbex) est l’activités consistant à visiter des lieux abandonnés, interdits ou difficile d’accès”.
Lorsque l’on erre dans les champs sacrés de la modernité, que l’on parcourt les plantations infinies de « maisons de plein pieds » il n’est pas rare de croiser un bâtiment dont les fenêtres bétonnées, les murs descendu mécaniquement ou les fondations saillantes, laissent entrevoir une mythologie bien différente de celle du lotissement.
En empruntant les codes des constructions antiques (colones, statues à l’entrée) le pavillon expose, lui et son environnement immédiat, à une ruine future.

Avant toute mythologie né une archéologie : celle du moderniste, celle d’un chaos ni somptueux, ni-divin. La ruine fascine le visiteur par sa banalité, par une familiarité qui s’impose à lui : son quotidien semble désormais plus proche du précipice. Il faut alors bien différencier urbex spectaculaire et urbex banal.

Ainsi, la ruine, vide de toute occupation humaine et de toute … semble faire echo à la phrase de Lévi Strauss : « Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui. »(2)

URBEX : reflet d’un monde en ruine partielle

Le monde contemporain, de part son caractère global, est en constante transformation et l’on peut constater, depuis les années 80, une accélération de ces processus de mutation. En effet, chacun des aspects de notre monde, qu’il soit sociétal, politique ou encore technologique se trouve profondément modifié et bouleversé par une mécanique semblant inarrêtable. Ces changements rapides, difficilement saisissables dans un premier temps engendrent, inévitablement, des phénomènes de crise.
Ainsi, à l’heure de la nouveauté, qu’advient-il de ce qui appartient au passé ? L’obsolescence inéluctable semble créer autant de plein que de vide. Dans les salles condamnées des universités, s’entasse du matériel informatique désormais inutile ; dans les supermarchés, les hôtes et hôtesses de caisses guident l’usager vers ce qui provoquera leur disparition : la caisse automatisée.
Dans cette même logique, le rythme effréné de la planification urbaine et l’évolution des villes occidentales – auquel s’ajoute dans certains cas l’effondrement des marchés – laissent à la marge nombre de lieux désormais désaffectés : friches industrielles, complexes militaires, lotissements vacants, hôpitaux désertés, villes fantômes.
Ainsi, la friche agit comme un signal et devient l’élément visible d’une perte fonctionnelle, matérielle et humaine en ces lieux.
En cela, il nous paraît intéressant de regarder la friche comme un lieu, non pas vide de tout sens, mais symptomatique de notre présent. Obsolètes dans leurs anciennes fonctions, ces zones, que l’on ne peut que désormais expérimenter, acquièrent de nouveaux objectifs : être vecteur de souvenirs, de renouveaux et d’inventions.
En déambulant dans ces zones pour y récolter témoignages, objets et notes fictives, nous construisons un rapport au lieu se basant sur l’errance, le souvenir et le potentiel narratif de ces étendues de béton. Ré-activer le lieu devient alors l’objectif à atteindre.
Ainsi, nos productions montrent ces friches sous un nouveau jour, poétique et surréaliste, tentant de répondre à la question : comment habite t-on désormais ces mondes ?

(1) Stalker (Сталкер), film d’Andreï Tarkovski, 1979
(2) Tristes tropiques, neuvième partie, XL – Claude Lévi Strauss